samedi 5 juillet 2014

Liaisons dangereuses (2)

J'avais entrepris dans un post précédent (Liaisons Dangereuses -1) l'historique des relations diplomatiques mouvementées entre le Japon et la Corée de 1945 à 2012. Je continue ici le fil d'une histoire qui décidément, ne s'éclaircit pas...






Rappel de l'épisode précédent:

La présidence de Lee Myung-Bak, élu fin 2007, avait commencé sous les meilleurs auspices, et une coopération renforcée entre le Japon et la Corée, en particulier pour faire front commun face à l'instabilité nord-coréenne, avait vu le jour. Hélas, cette entente presque cordiale a succombé sous les coups des préoccupations politiciennes des deux bords, et en premier lieu en raison de l'amateurisme du gouvernement coréen:
  • Le président Lee semble en effet complètement pris au dépourvu, en juin 2012, par la réaction virulente de l'opposition à la signature annoncée d'un accord de défense avec le Japon. Le contenu en est pourtant assez anodin (lien - yonhapnews), mais il a été peu intelligemment négocié en secret et révélé au dernier moment. Personne ne s'intéresse aux fondements de l'affaire, et surtout pas la presse coréenne, décidément sans aucune éthique.
    Lee Myung Bak utilise alors, pour essayer de se rétablir, les ficelles traditionnelles de la politique coréenne: il se rend sur l'îlot disputé de Dokdo/Takeshima en août. Il ne réalise pas que sa gesticulation, habituellement traitée avec un haussement d'épaules à Tokyo, y est cette fois associée à des évènements récents et médiatisés : la visite du président Medvedev aux Sud-Kouriles, et surtout les violentes manifestations anti-japonaises qui ont accompagné en Chine les revendications chinoises sur les îles Senkaku. 
    Qui plus est,  le président Lee, sans doute emporté par sa ferveur patriotique, fait lors de sa visite à Dokdo un commentaire peu inspiré sur l'empereur nippon, qui choque au Japon et contribue à y médiatiser sa visite (lien - Time magazine).
  • De l'autre côté, le Japon est alors en campagne électorale et la stratégie du candidat conservateur, Shinzo Abe, est de gagner l'élection en occupant tout le terrain sur la droite, un peu comme Sarkozy en France à la même époque. Mais Abe n'en est pas à sa première prise de position controversée: il a multiplié par le passé les propos à caractère révisionniste. Ses déclarations de campagne à l'emporte-pièce sur la nécessité de réviser une approche jugée "masochiste" de l'histoire renforcent en Corée sa réputation de politicien sulfureux. 
Dialogues de sourds (2012-2014):

Il n'est donc pas étonnant que Park Geun-Hye, après son élection à la présidence en décembre 2012, ne se soit pas précipitée pour rencontrer Abe, qui avait pris les commandes au Japon le même mois.
Elle craignait sans doute qu'une prise de position intempestive d'Abe, après un geste conciliant de sa part, ne la mette dans une position intenable sur le plan intérieur.
Les positions plus modérées ou plus prudentes que le premier ministre japonais affecte de prendre  peu après son élection ne changent rien.  D'ailleurs, si Abe se calme un peu, d'autres politiciens japonais, à commencer pr le vice-premier ministre Aso, se chargent d'alimenter l'actualité en propos intempestifs. Un peu comme en France, les démons utilisés pendant la campagne électorale peinent à rentrer à la niche une fois l'élection passée.
Ces propos sont souvent dénoncés par la presse japonaise comme irresponsables, mais les positions japonaises critiques ne sont pas entendues à Séoul: la presse coréenne s'en tient à une vision monolithique du Japon, et contribue même à mettre de l'huile sur le feu. On va jusqu'à trouver un sens caché révisionniste dans le numéro d'immatriculation d'un avion dans lequel Shinzo Abe a été photographié...

Après un an d'attentisme, et de pressions infructueuses des américains pour amener les coréens à faire le premier pas, Abe donne malheureusement raison à la prudence de Park Geun-Hye : il célébre le premier anniversaire de son accession au pouvoir en visitant le temple Yasukuni à Tokyo. Ce temple (où il n'y a concrètement pas de quoi fouetter un chat) est vu en Asie comme un symbole du militarisme japonais.

Les Etats-Unis mettent alors la pression sur Abe, qui finit pas déclarer officiellement, en mars 2014, ne pas vouloir remettre en question la "déclaration Kono" [le premier ministre japonais Yohei Kono avait reconnu, en 1993, la véracité de l'existence d'une prostitution de coréennes organisée par l'armée impériale en guerre], après avoir durant plusieurs semaines laissé entendre le contraire.
Quelques semaines plus tard, le président Obama parvient à réunir les 2 leaders, à la Hague, en marge d'un sommet international sur la sécurité nucléaire. Abe, toujours habile devant les caméras, y apparaît souriant et ouvert, alors que Mme. Park reste sévère et sur la défensive.

Il en résulte une situation où les faucons des 2 camps sont renforcés dans leurs positions:

  • en Corée, on voit les quelques déclarations positives de Shinzo Abe comme des signes de duplicité. Il personnifie maintenant la revendication latente que de nombreux Coréens ont en tête (et que la presse, s'ils l'oublient, se charge de leur rappeler): le Japon n'a rien renié de son passé, il faut se méfier des faux-semblants et exiger une contrition totale...
    La modification, début juillet, de l'interprétation de la constitution japonaise, pour rendre plus facile la participation de troupes japonaises dans des interventions internationales, est vue comme la preuve du regain du militarisme nippon.

  • au Japon, l'attitude négative de Mme. Park, dont on souligne qu'elle n'a répondu à aucun des signaux positifs envoyés par Abe, était au début considérée comme une obstination déraisonnable, mise sur le compte de difficultés politiques internes. 
    De plus en plus, elle est interprétée comme une manoeuvre hostile alignée sur les positions de la Chine, en qui la population japonaise voit une menace depuis les très violentes émeutes anti-japonaises de septembre 2012 à Pékin.
    La visite du président chinois à Séoul en juillet, marquée par l'annonce d'une commémoration commune Chine-Corée du Sud, en 2015, de la fin de la 2ème guerre mondiale, confirme, vue de Tokyo, cette perception d'un axe Pékin-Séoul. Le japonais moyen, d'habitude plutôt modéré ou indifférent à la situation coréenne, ne peut dans ce contexte que réagir favorablement à l'attitude de fermeté du premier ministre Abe.
Il semble qu'à ce stade, les deux parties ne s'entendent que sur un seul point: les négociations avec l'autre bord ne servent à rien.







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