Trois articles dans Le Monde Diplomatique de ce mois, qui valent la peine d'être notés:
Le premier rapporte la prise de position de Lawrence Summers, ancien président de Harvard, lors de la conférence annuelle du FMI en novembre dernier= le capitalisme s'est-il pris au piège d'une "stagnation séculaire", en partie liée à la croissance des inégalités ?
Le constat est le suivant = le rendement du capital investi dans la production (le taux d'intérêt dit naturel) ne cesse de baisser depuis 3 décennies, provoquant la régression de l'investissement productif. Les détenteurs de capitaux s'orientent donc pour maximiser leurs profits vers des investissements financiers qui tirent leur rendement de ponctions croissantes sur la valeur ajoutée, i.e. qui se nourrissent de la baisse des salaires, laquelle amène à la réduction de la demande. On arrive ainsi à une situation économique structurellement en stagnation.
Cela vaut pour les entreprises, qui face à une demande peu soutenue, hésitent à créer de nouvelles capacités de production, même si elles en ont les moyens. Et pour les particuliers, de façon exacerbée par l'accroissement des inégalités. Dans le documentaire Inequality for All, Robert Reich, ancien ministre du travail de l'administration Clinton, révèle que sur les 5 dernières années, 90% de la croissance du PIB américain ont été captés par 1% de la population. Les 400 américains les plus riches disposent ainsi d'autant d'argent que les 150 millions les plus pauvres. Argent en partie soustrait à l'économie réelle, tant il est vrai que 400 personnes ne pourront jamais consommer autant que 150 millions d'individus.
Dans ce contexte, il n'est pas étonnant, c'est le sujet d'un autre article, que les entreprises françaises sollicitées à garantir des contreparties en échange de baisses de charges dans le cadre du "Pacte de Responsabilité" en viennent à expliquer qu' "encore faut-il que les carnets de commande se remplissent..." Finalement, ce ne sont donc pas "les entreprises qui créent l'emploi" pour peu qu'elles soient moins écrasées de charges, contrairement à ce qui nous avait été seriné. Pour créer de l'emploi, il faut... de la demande de produits et de services.
Le troisième article, du philosophe Étienne Balibar, constate que l'orientation du projet européen vers une concurrence "libre et non faussée" résulte aussi, outre l'abandon graduel des politiques sociales qui avaient façonné l'Europe de son origine aux "années Delors", dans un accroissement des inégalités et des antagonismes entre pays membres de l'Union. L'absence de mécanismes d'élaboration collective des politiques économiques européennes aboutit à une hégémonie allemande qui semble constituer un obstacle devenu structurel à la construction européenne.
Le drame, pour l'Europe, est que la situation économique surdétermine la perception par les citoyens de la légitimité démocratique des états et de l'Union, qui n'est pas simplement une question de procédures électorales. En Europe de l'Ouest, la construction des états démocratiques a souvent pris la forme de la constitution d'un état national social, où les avancées des droits sociaux se combinaient avec le renforcement de l'appartenance nationale. Ce fut le cas en particulier à l'issue des 2 guerres mondiales. D'où le danger d'une Union aujourd'hui perçue non comme un espace de solidarité entre ses membres, mais comme un instrument de pénétration de la concurrence mondiale au coeur du continent.
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