Quand il écrivit ce texte en 1916, le poète et Prix Nobel Rabîndranâth Tagore parlait du progrès scientifique, qui menaçait les fondements naturalistes du Japon ancien. Un siècle plus tard, en replaçant "science" par "néo-libéralisme", le texte garde toute son actualité :
Vouloir baser la société sur les principes de la lutte pour l'existence, c'est oublier que l'existence humaine n'est pas faite seulement par la surface des choses. L'homme existe véritablement au travers d'un idéal de perfection, dont les limites n'ont encore jamais été mesurées. Une vie basée sur des principes scientifiques est attirante pour certains hommes, parce qu'elle a toutes les caractéristiques d'un sport de chasse ; elle paraît sérieuse, mais elle n'est pas profonde.
Quand on va à la chasse, on est d'autant meilleur que l'on a moins de pitié ; parce que l'objectif unique de la chasse est de poursuivre le gibier et de le tuer, d'avoir la sensation que l'on est un animal supérieur, employant une méthode de destruction rigoureuse et scientifique. C'est parce que le chasseur est un être superficiel - la profondeur de son humanité ne vient pas le contrarier - qu'il réussit à tuer des vies innocentes et qu'il y prend plaisir.
Une vie qui suit les mêmes principes ne peut être qu'une vie superficielle. Elle recherche le succès avec méthode et rigueur, et ne tient aucun compte de la nature supérieure de l'homme. Mais même la science ne peut réussir à séparer l'humanité de sa vérité ; et les esprits qui sont assez grossiers pour bâtir leur vie sur la supposition que l'homme n'est qu'un chasseur, et que son paradis est régi par les lois du sport, auront un jour un réveil difficile, au milieu de leur trophées de squelettes et de crânes.
[...] Je peux voir leur slogan, emprunté à la science, "Survival of the Fittest," grand écrit en frontispice de leur histoire récente — un slogan qui signifie, "Servez-vous, et ne vous souciez jamais de ce qu'il en coûte à autrui"; le slogan de l'homme aveugle, qui ne croit qu'en ce qu'il peut toucher, parce qu'il ne peut pas voir. Mais ceux qui peuvent voir, savent que les hommes sont si intimement liés, que si vous frappez les autres le coup vous revient immanquablement. La loi morale, qui est la plus grande découverte de l'homme, est la découverte de cette merveilleuse vérité, que l'homme devient d'autant plus véritable qu'il se réalise dans les autres.
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